Rencontre avec Jacky Le Faucheur, designer des nouvelles collections David Lange 2/2

Suite de notre rencontre avec le designer Jacky Le Faucheur choisi par la manufacture David Lange pour la création de deux nouvelles collections et de quelques ingénieuses innovations avec des matériaux nobles…

KS : Avec les nouvelles courbes de la collection Pure, comment vous différenceriez votre travail par rapport aux précédentes collections David Lange ?

JLF : Je n’ai pas voulu regarder les anciennes collections dans le détail, en tout cas pas en tant que repère ou témoin. Dans la collaboration avec la manufacture David Lange, on est dans la compréhension du savoir, je n’ai pas pu m’empêcher de pousser ces savoirs, de toucher du doigt les limites du process industriel. Par exemple, on est allé plus loin sur l’invisibilité (dans l’assemblage), sur les formes, ce qui a impliqué une nouvelle manière de fabriquer les meubles, un nouvel outillage : le rayon, la courbe de pliage, le travail global a dû remettre en cause une partie de leur méthode artisanale et industrielle. Il y a un avant et un après, on a dépassé certaines contraintes limitatives antérieures. C’est dans la nature même de la manufacture David Lange de créer des prototypes, c’est leur culture du quotidien. Ils me disaient : « On va tout faire pour y arriver ! », ils étaient convaincus du projet global.

KS : Par exemple, le meuble TV de la collection Pure n’a pas de roulettes ?

JLF : Sur une desserte, on sait que c’est indispensable, mais sur un meuble, comme le meuble TV, qui doit se déplacer une fois tous les six mois, non. Il y a une décennie, c’était une mode, pour incarner la notion de mobilité dont tout le monde était baigné, aujourd’hui plus, ce sont les objets du quotidien qui sont mobiles. Je pose la question : qu’est-ce qui est de l’ordre de la tendance, qu’est qui est de l’ordre de l’essentiel dans l’usage ? Aujourd’hui, on fait parler autre chose sur le meuble.

KS : Et cette idée de faire cohabiter la résine transparente avec des matériaux nobles que sont le cuir et le bois ?

Cuir et PMMA transparent - Collection Pure
Cuir et PMMA transparent – Collection Pure

JLF : C’est parce qu’il y a un contraste que les matières cohabitent bien, cela dépend aussi du pourcentage de chaque matière sur le meuble (ici on est à moins de 10 %). On n’a pas choisi le cuir pour le cuir, mais parce que le cuir a un usage : il est antidérapant pour les téléphones, les lecteurs MP3, les souris, etc. Il s’associe avec les autres éléments de l’habitat. Avec les meubles David Lange, on peut mettre en valeur un beau tapis par exemple, des rideaux, des étoffes, un canapé. Le mobilier transparent laisse aussi parler les choix architecturaux du lieu, on peut lire le dessin de l’architecte et mieux appréhender le volume. C’est dommage d’avoir un loft épuré, avec des objets opaques très présents qui viennent effacer l’architecture intérieure, le traitement des surfaces.
Mon souhait était aussi d’offrir, en cohérence avec la notion de modèle personnalisé chère à David Lange, une diversité de fleurs de cuir pour personnaliser le meuble. Le cuir surpiqué, c’est un témoignage de la manière dont le meuble a été fabriqué de manière manuelle et individuelle pour chaque client, c’est physiquement incarné dans le meuble, sans être démonstratif.

KS : Vous parliez précédemment d’objets mobiles, est-ce qu’il s’agit de faire cohabiter le technologique et le précieux ?

Un début de domotique à l’échelle du meuble

JLF : L’usage du multimédia transforme notre relation aux meubles et aux objets qui nous entourent. Avant l’ordinateur était figé, aujourd’hui on a envie d’avoir l’information partout à tout moment, on a donc des contraintes d’alimentation électriques et d’interfaces, de son et de lumière. La plupart du mobilier est inadapté à cette révolution ou alors on offre des outils prothèses, comme des multi-prises, et nos mobiles reposent là où ils peuvent, par défaut. On s’est posé la question comment accueillir ces éléments multimédias, comment amplifier leurs possibilités par le meuble, entre autres, grâce à ses caractéristiques transparentes. On est sur un début de domotique à l’échelle du meuble qui se veut la plus compatible possible avec l’ensemble des mobiliers David Lange… C’est la prochaine évolution des collections comme Pure… mais je ne vous en dis pas plus !

 KS : Vous avez rédigé un brief pour les futurs designers de la manufacture, comment imaginez-vous les meubles David Lange dans 5 ans ?

Est-ce qu’un mobilier sert à une ou dix choses ?

JLF : Ce brief est une synthèse de la collaboration, un condensé des réflexions élaborées avec la manufacture. Le guide du designer, c’est une immersion dans le savoir-faire David Lange, une transmission. Ne pas être dans un déploiement d’expériences singulières de différents designers qui s’additionnent, mais une ligne de conduite, une sorte de direction artistique. Dessiner un meuble David Lange est plus compliqué qu’il n’y paraît, c’est un pliage qui devient autre chose, cela permet de gagner du temps pour les prochains créateurs !
Quand aux meubles David Lange de demain, c’est trop tôt, je n’ai pas de recul ! Les usages peuvent évoluer dans 5 ans… Avec les nouvelles collections, on n’a pas fait qu’un renouvellement, on a fait en sorte que les collections puissent être pertinentes dans 5 ans, qu’elles restent intemporelles. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une remise en cause : est-ce qu’un mobilier sert à une ou dix choses ? La hiérarchie des meubles dans chaque pièce, leur valeur iconique (un salon = un canapé + un meuble TV + une cheminée, etc.) sont en train d’évoluer… C’est parce que c’est compliqué que c’est intéressant !

KS : Votre modèle de meuble préféré parmi les nouvelles collections ?

Bureau collection Pure
Bureau collection Pure

JLF : Je suis vraiment très fier du bureau de la collection Pure, je suis assez content du dessin ! C’est un meuble qui provoque le désir, l’envie de faire flotter un ordinateur dans l’espace, de balader la souris dans une totale légèreté. Ce serait presque un meuble virtuel… Il y a aussi la lumière qui le traverse par la tranche et le transforme au cours de la journée.

KS : Un idéal du design ?

JLF : J’essaie de développer une approche spirituelle du métier, à travers une méthode analytique et intuitive : comment trouver la source (du projet industriel NDLR), comment comprendre l’autre et soi-même ? C’est l’épure et la simplicité qui m’intéressent. Moins mais mieux…

Site du Studio Jacky Le Faucheur

Chiffres-clés

2 collections, une douzaine de modèles de nouveaux meubles personnalisés